L'émasculé du Cran-aux-Oeufs, Roman

Michel BOUVIER

Gilles Guillon

  • Conseillé par
    3 mai 2017

    Pôle nord éditions est une jeune maison créée en 2013 à Lille. Sa collection Belle époque de laquelle est tirée cet ouvrage a pour cadre le littoral nordiste et picard aux alentours de 1900.Michel Bouvier écrit le numéro 6 de la série. Michel Bouvier, je l'ai déjà lu avec bonheur, deux fois : Lambersart-sur-Deuil et Le silencieux. Cette fois encore, il aborde ses thèmes de prédilection : la bourgeoisie nordiste, le monde ouvrier et la difficulté de passer de l'un à l'autre (ce dernier aspect étant moins présent mais fort naturellement puisque les deux mondes ne se mélangent pas, n'en ont même pas l'idée, au contraire des deux romans précédents, contemporains dans lesquels le passage du monde ouvrier à une classe sociale plus haute est si ce n'est plus aisé au moins envisageable). Michel Bouvier parle aussi de religion, de sa présence voire son omniprésence en cette fin de XIXe siècle, je pourrais même dire sa dictature tant elle forme les esprits et dicte les actes. Contrairement à ses romans précédents, le romancier se fait plus critique vis-à-vis de l'église et de ses principes et peut même pousser à de belles réflexions sur l'amour humain, sur l'humanité, la fraternité, ... "Il ne songeait pas seulement que ces hypothèses nouvelles sur les origines de l'homme entraient en contradiction avec ce qu'il avait appris au catéchisme, à quoi il avait cru naïvement et qu'il croyait encore obscurément, que l'homme avait été créé par Dieu à son image et placé dans un merveilleux jardin à l'Orient d'un monde parfait. Il ne se rendait pas compte que son incapacité à sortir de ses interrogations venait sans doute de la cohabitation dans les couches profondes de son esprit de ces deux convictions contradictoires : l'homme est sorti parfait des mains de Dieu ; le criminel obéit à des pulsions mauvaises qui remontent à l'origine obscure de l'homme." (p.71/72)

    L'intrigue de son roman policier est servie par une langue soignée, travaillée et qui est un plaisir à lire et à dire. De belles longues phrases, profondes qui vont au cœur des personnages, Gaston Dewiquet en particulier. Elles décrivent aussi admirablement les lieux, le temps, les nuages... C'est bourré de beaux mots, de vocables locaux également, d'imparfaits du subjonctif -j'en vois qui frétillent en lisant cela. C'est un roman policier que l'on lit lentement, d'abord pour profiter du style et parce que les longues phrases incitent à la lenteur ; on colle au plus près au rythme du policier et de sa jument Soyeuse qui le mène sur les chemins et routes du nord. C'est assez rare de lire des romans policiers dans un style aussi particulier, ils vont souvent vite, sont argotiques, rapides, parfois insipides sauf leur intrigue. Les polars de Michel Bouvier, on les lit d'abord pour son écriture et le reste vient ensuite naturellement, sans forcer, tout coule admirablement.